mardi 17 février 2015

Rouge Baiser

D’une découverte dans une vitrine, je tire le fil de la bobine mode.
Sous la forme d’un motif, cette découverte trouve une résonnance appliquée au champ de la mode mais également dans le champ de l’art. Preuve que le lien art et mode se réactualise au fil des saisons.

Dans la vitrine du magasin Besson, un rouleau de papier peint se détache nettement. 
D’un brillant doré éclatant, il laisse apparaître ça et là des bouches rouges scintillantes. Papier peint étonnant mais terriblement orignal ! Dépassées des projections fictives pour définir un intérieur dans lequel le papier peint aurait sa place, le motif retient toute mon attention. Il m’évoque très rapidement des références.

Besson, 29 rue Bonaparte 75006 Paris, France. www.decobesson.fr

Une bouche. Du rouge. Des lèvres rouges.

Un modèle d’Yves Saint Laurent daté de la collection Printemps-Eté 1971 me revient.
Un long manteau de velours de soie noir incrusté d’un motif bouche rouge de sequins. La matière vibrante du velours fait onduler ces bouches pour dévoiler une création teintée de sens. La féminité et la séduction se dessinent au travers de ces bouches rouges lumineuses. 
Bouches pleines mises en lumière par des sequins roses, rouges, fuchsia. Mais également, bouches ourlées de sequins rouges et complétées par une cigarette symbolisée par une bande de sequins argentés. Dès lors, à la féminité et la séduction s’ajoutent un emprunt au masculin. Ces associations - féminin et masculin - mises en regard nourrissent l’œuvre du couturier, Yves Saint Laurent, qui se joue des codes et aime à mélanger masculin et féminin pour créer son vestiaire.


 Manteau du soir long, Haute Couture, collection Printemps-Eté 1971, Yves Saint Laurent.

Un été 2014 marqué par des traces rouges laissées sur des créations Haute Couture et Prêt-à-Porter, sur des vêtements, des accessoires.  
Les mois d’été auront été marqués par le motif bouche qui s’invite dans les défilés et s’adoptent dans la rue. La garde robe opte pour cet imprimé phare, délaissant quelque peu le traditionnel motif des fleurs. Les vêtements et les accessoires se parent de cette bouche rouge sans véritablement y voir une référence art-mode.


Carnet d’inspirations appelé « moodboard » sur le blog 2 filles 1 style.

Le défilé Saint Laurent du Printemps-Eté 2014 conduit par le styliste Hedi Slimane a largement repris ce motif pour proposer des créations très marquées par l’esthétique du couturier Yves Saint Laurent. 
Robe portefeuille, épaules structurées, encolure en V, matière fluide. Avec en prime ce motif bouche, employée par Yves Saint Laurent dès 1971 dans sa collection Haute Couture et dans sa marque de Prêt-à-Porter, rive gauche. Rien d’étonnant pour celui qui a fait ses armes au sein du Prêt-à-Porter de la maison Yves Saint Laurent en 1996. Mais étonnant de constater l’absence de parallèle entre les créations de 2014 et celles de 1971 dans la presse spécialisée et féminine.


Modèles du défilé Saint Laurent, Prêt-à-Porter, Printemps-Eté 2014.

D’autres marques impriment la bouche rouge dans leurs collections. 
Le motif prend alors une forme plus légère pour donner un caractère gourmand à des pièces estivales. Il revêt un caractère plus ludique et mutin pour les collections contemporaines qui l’adoptent à tous les prix. Le motif bouche imaginé par Yves Saint Laurent pour jouer des codes entre masculin et féminin perd de sa force pour un imprimé bisous.  


Bandeau du haut : photos à gauche et au milieu : Défilé Giles, Prêt-à-Porter, Printemps-Eté 2014. Photo à droite : Stella McCartney, Ressort 2014. 
Bandeau du milieu : Photo à gauche : Sweat-Shirt broderie bouches, Piwi, 2014. Photo au milieu : Collection premier flirt Claudie Pierlot, 2014. Photo à droite : Robe asymétrique baisers, Mango, 2014. 
Photos du bas : Collection capsule Kiss me Charlotte Olympia, à gauche : Bottines Kiss me Betsy !, à droite : Compensés Kiss me Carmen ! 2014.


Je me dois de reconnaître que j’ai cédé à l’appel de cet imprimé phare pour acheter un chemiser noir de chez Claudie Pierlot avec en tête la création du couturier Yves Saint Laurent largement étudié dans mes fonctions d’attachée de conservation.


Top noir imprimé bouches rouges, Claudie Pierlot, Printemps-Eté 2014.

Un canapé de velours rouge en forme de bouche imaginée par un certain Salvator Dalí.
La couleur et la forme du canapé laissent entrevoir la présence du féminin dans cette œuvre de l’artiste surréaliste qui propose un objet fonctionnel hautement attractif et quelque peu irrationnel. 1936, Dalí crée le design du canapé Boca à l’image des lèvres rouges et pulpeuses de l’actrice américaine Mae West1 dont il admire les formes aussi voluptueuses que généreuses, véritable sex-symbol à l’époque.


Mae West Lips Sofa, Salador Dalí. 


Du papier peint à la mode en passant par les arts, le motif bouche a laissé sa trace rouge indélébile, tantôt légère, tantôt ludique, tantôt provocatrice.
Ces applications tendent bien à prouver deux tendances fortes. 
La première est que la mode est un éternel recommencement. La seconde, tend à démontrer la porosité de la mode et de l’art pour se revitaliser.

Et, il est fort à parier que le rouge baiser trouvera une autre nuance au fil des saisons.








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1 Mary Jane West, dit Mae West (1893-1980), actrice américaine, considérée comme un sex-symbol des années 20 aux années 40.

jeudi 12 février 2015

Belgitude et peinture - Johan Van Mullem

Premier article depuis mon introduction axée sur la sculpture pour vous parler d’une exposition présentée dans une galerie parisienne mettant en lumière … des peintures !

Mais, un artiste belge à Paris cette semaine ne pouvait que me donner l’envie de vous en parler. Et si en plus, je suis son travail depuis des années, alors me voilà tout excusé !

Johan Van Mullem expose pour la première à Paris à la Galerie Schwab Beaubourg, depuis le 4 février (jusqu’au 4 mars 2015).

« Paysagistes contemporains – autour de Nehlich » regroupe le travail d’artistes autour de la peinture de Jean Louis Nehlich pour proposer des visions classiques et originales du paysage.
Appréhendé tantôt de façon figurative tantôt de manière abstraite avec une palette de couleurs aussi lumineuse que sombre, la question du paysage est au cœur des tableaux des neuf artistes présentés dans cette exposition. 



 Johan Van Mullem, Paysage
2014, huile sur toile, 100 x 140 cm

Les œuvres de Johan Van Mullem m’interpellent particulièrement. Probablement car elles parlent d’un paysage qui m’est  familier – la Mer du Nord. Tourmentés, bruyants, venteux, oscillant entre clair-obscur, alternant entre mouvement et statique, ses paysages des plages de De Panne à Knokke, en passant par Blankenberge s’inscrivent dans une tradition classique du paysage mais avec un pinceau trempé dans le sang, qui sculpte et dévoile ce qui s’offre à nous.

Les oeuvres de Johan Van Mullem me font remonter aux cieux de William Turner.  Fenêtres ouvertes sur mes premières plages, le vent s'engouffre et me fouettent le visage. 

 Johan Van Mullem - Paysages
Encre sur kardapak, 30 x 20 cm- 20 x 30 cm


Johan Van Mullem, non communiqué


                       William Turner, Snow Storm, 1842                               William TURNER, Rain, Steam and Speed, 1844
                 Huile sur toile, 91 x 122 cm, Tate Gallery,                          Huile sur toile, 91 x 121,8 cm, National Gallery,
                                              Londres                                                                                                    Londres
                                                                                                                                               



Les mots de Brel font écho à ces oeuvres qui invitent à la comptempation : 

Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague,
Et des vagues de dun's pour arrêter les vagues,
Et de vagues rochers que les marées dépass'nt,
Et qui ont à jamais le coeur à marée basse.
Avec infiniment de brumes à venir
Avec le vent d'ouest écoutez le tenir
Le plat pays qui est le mien.
  
Initiation aux voyages, les oeuvres de Johan Van Mullem sont à découvrir à Paris, les paysages sont à découvrir sur les côtes belges. 



Pascal 





mercredi 4 février 2015

Rencontre de l'art et de la mode, et Belgitude !

Si aujourd’hui, le lien entre mode et art est admis, il n’en reste pas moins que son application est discrète, et encore plus dans la rue.

Mais, c’est bien dans la rue au détour d’une promenode (association de la promenade et de la mode!) que la rencontre se produit. 
Une installation pour le moins minimaliste : un portant, trois manteaux. Sorte de tâche colorée dans la vitrine de Fausto Santini dont le noir, le jaune et le rouge se détachent. Dispositif simple mais efficace. Tout ce serait arrêté là, si je n’avais pas fait le premier rapprochement avec une autre installation vue très récemment dans une boutique. 
A l’écart des modèles soldés, une caisse à l’intérieure de laquelle trois bottes de la marque Aigle. A nouveau, le même colorama mais cette fois inversé : rouge, jaune, noir (selon le sens de lecture !). Dès lors, une impression de déjà-vu. 

Photo du haut : vue de la vitrine Fausto Santini, 4 rue du Cherche Midi, Paris 6. 
Photo du bas : vue de l'installation des bottes Aigle au Refuge, 44 rue Saint-Placide, Paris 6. 

Une impression que ces assemblages ou disons plutôt de dispositifs pour reprendre le terme défini par Georgio Agamben1 ne m’étaient pas inconnus. 
Le lien était pourtant sous mes yeux, accroché au compteur électrique sous la forme d’une carte postale représentant un cadre à compartiments dans lesquels trois parapluies fermés – noir, jaune, rouge. 

Jean-Pierre Bredo
Parapluies, 2009
Parapluies, bois, plexiglas. 86,7 x 44,8 x 6,8 cm. 

L’artiste, Jean-Pierre Bredo2 propose une vision esthétisante des parapluies - et au-delà interroge son pays, la Belgique en réemployant les couleurs du drapeau belge, noir-jaune-rouge ; formant ainsi un dispositif. 
Dès lors, se posait une question. Se peut-il que cette œuvre ait inspiré des enseignes ?
Mais au-delà, peut-on parler de Belgitude par l’emploi des couleurs du drapeau belge ? 
Les pistes méritent réflexions.

Si le lien entre l’art et la mode a été mis en évidence par Valérie de Givry dans son ouvrage Art & Mode3, il peut être défini comme processus d’inspiration traduit par la connivence temporelle, l’interprétation, l’analogie et la citation. Il permet « d’apprécier les complicités esthétiques, stylistiques ou conceptuelles entre couturiers et artistes (…). »4 
Ainsi, le vêtement dans sa conception intègre l’art comme composante pour produire un vêtement hommage ou revisité.

Pour ne citer qu’un seul exemple, dont je connais les coutures et les doublures, Yves Saint Laurent. Le créateur a en effet créé des pièces hommages - hommages à des artistes qu’il admirait particulièrement, Van Gogh, Apollinaire, Aragon, Matisse, Braque. De la citation d’Apollinaire « Tout terriblement » brodée lettres à lettres dans le velours de soie noir et bleu, à l’évocation des Tournesols de Van Gogh entièrement brodés par Lesage sur une veste, à l’interprétation des effets de mode revisités dans des détails : manches ballons, crinolines rondes, costumes traditionnels, marocains notamment, Yves Saint Laurent a fait de l’art une source majeure.

Photo du haut : Ensemble du soir long, automne-hiver 1980. Collection Haute Couture Yves Saint Laurent.
Photo du milieu haut : Ensemble du soir court, printemps-été 1988. Collection Haute Couture Yves Saint Laurent. 
Photo du bas : Modèle de gauche, ensemble du jour court, automne-hiver 1979. Collection Haute Couture Yves Saint Laurent. Modèle du milieu, ensemble du jour long, printemps-été 1991. Collection rive gauche Yves Saint Laurent. Modèle de droite, robe du soir long, automne-hiver 1977. Collection Haute Couture Yves Saint Laurent.
Photo de droite : Robe du soir long, automne-hiver 1976. Collection Haute Couture Yves Saint Laurent.  


Intégré au vêtement dans le processus de création, l’art devient un artifice de la mode. Appliqué à la couture, le lien art et mode est un écho révélant les emprunts, les hommages, les correspondances dans la rencontre de ces deux univers.

Dans le cas qui nous occupe, le lien est tout autre ; non pas inscrit dans l’ADN du vêtement mais dans le dispositif.
La mode emploie un dispositif artistique pour mettre en scène – mettre en vente – ses produits. Reste à savoir si cela est intentionnel ou une coïncidence. Pour cela, je décide d’interroger directement les enseignes afin de connaître leur position.

Dans tous-les cas, le phénomène est intéressant à souligner. 
Si l’intention porte sur l’interprétation d’une œuvre à travers un dispositif, alors la mode utilise l’art comme vecteur de reconnaissance. Reconnaissance de son appartenance à l’art – débat très largement couvert lors de l’entrée de la mode dans le monde institutionnel des musées-, reconnaissance à travers la réappropriation, le réemploi, l’interprétation d’une œuvre. Le lien serait ainsi réactualisé par la mode tentée par l’art dans une approche scénographique. Cela n’est pas sans évoquer la campagne publicitaire de la marque Marithé et François Girbaud datée de 2005 s’inspirant librement de l’œuvre de Léonard de Vinci, la Cène.

Photo du haut : campagne publicitaire Marithé et François Girbaud, 2005. 
Photo du bas : Léonard de Vinci, La cène, 1495-1498, Tempera sur gesso, 4,6 x 8,8 m, Eglise Santa Maria delle Grazie de Milan. 

Si l’intentionnalité porte sur les couleurs associées –noir, jaune, rouge- alors on pourrait y voir l’intérêt de la mode portée à la Belgique, par l’évocation de son drapeau et au-delà son intérêt pour le caractère pointu des designers belges. Phénomène discret mais bien présent dans la mode depuis l’apparition des Six d’Anvers5: Walter Van Beirendonck, Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Dirk Van Saene, Dirk Bikkembergs et Marina Yee (auquel il faut ajouter Martin Margiela). La Belgitude est toujours en vogue – et ça n’est pas pour me déplaire !  


Vue de la vitrine des Galeries Lafayette, Juillet 2014. Sac Delvaux, black edition 2008.  


Si cela est le fruit du hasard, alors il est décidément de rigueur de dire qu’il fait bien les choses ! 


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1 Georgio Agamben donne la définition suivante du dispositif dans son ouvrage, Qu’est-ce qu’un dispositif ? « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. »
Agamben Georgio, Qu’est-ce qu’un dispositif ?,Rivages Poche/Petite Bibliothèque, Paris, 64 pages.
2 Jean-Pierre Bredo, artiste belge né en 1964, décline le noir, le jaune et le rouge, couleurs du drapeau belge dans des objets du quotidien pour interroger l’identité de son pays.
3 Valérie de Givry, Art & Mode, Editions du Regard, Paris, 1998, 150 pages.
4 Ibidem, introduction, p. 7.
5 Les Six d’Anvers désigne un groupe de six élèves (auquel il faut ajouter Martin Margiela) issus de l'Académie Royale des Beaux-Arts d'Anvers (Belgique). Ces stylistes sont considérés comme l’avant-garde à travers une mode minimaliste qui connaît son apogée dans les années 1990.