Si
aujourd’hui, le lien entre mode et art est admis, il n’en reste pas moins que
son application est discrète, et encore plus dans la rue.
Mais,
c’est bien dans la rue au détour d’une promenode
(association de la promenade et de la mode!) que la rencontre se produit.
Une installation pour le moins minimaliste : un portant, trois manteaux.
Sorte de tâche colorée dans la vitrine de Fausto Santini dont le noir, le jaune
et le rouge se détachent. Dispositif simple mais efficace. Tout ce serait
arrêté là, si je n’avais pas fait le premier rapprochement avec une autre
installation vue très récemment dans une boutique.
A l’écart des modèles
soldés, une caisse à l’intérieure de laquelle trois bottes de la marque Aigle.
A nouveau, le même colorama mais cette fois inversé : rouge, jaune, noir
(selon le sens de lecture !). Dès lors, une impression de déjà-vu.
Photo du haut : vue de la vitrine Fausto Santini, 4 rue du Cherche Midi, Paris 6.
Photo du bas : vue de l'installation des bottes Aigle au Refuge, 44 rue Saint-Placide, Paris 6.
Une
impression que ces assemblages ou disons plutôt de dispositifs pour reprendre
le terme défini par Georgio Agamben1 ne m’étaient pas inconnus.
Le
lien était pourtant sous mes yeux, accroché au compteur électrique sous la
forme d’une carte postale représentant un cadre à compartiments dans lesquels trois
parapluies fermés – noir, jaune, rouge.
Jean-Pierre Bredo
Parapluies, 2009
Parapluies, bois, plexiglas. 86,7 x 44,8 x 6,8 cm.
L’artiste, Jean-Pierre Bredo2
propose une vision esthétisante des parapluies - et au-delà interroge son pays,
la Belgique en réemployant les couleurs du drapeau belge,
noir-jaune-rouge ; formant ainsi un dispositif.
Dès lors, se posait une question. Se peut-il que cette œuvre ait inspiré des enseignes ?
Dès lors, se posait une question. Se peut-il que cette œuvre ait inspiré des enseignes ?
Mais
au-delà, peut-on parler de Belgitude par l’emploi des couleurs du drapeau
belge ?
Les pistes méritent réflexions.
Les pistes méritent réflexions.
Si
le lien entre l’art et la mode a été mis en évidence par Valérie de Givry dans
son ouvrage Art & Mode3,
il peut être défini comme processus d’inspiration traduit par la connivence
temporelle, l’interprétation, l’analogie et la citation. Il permet
« d’apprécier les complicités esthétiques, stylistiques ou conceptuelles
entre couturiers et artistes (…). »4
Ainsi, le vêtement dans sa conception intègre l’art comme composante pour produire un vêtement hommage ou revisité.
Ainsi, le vêtement dans sa conception intègre l’art comme composante pour produire un vêtement hommage ou revisité.
Pour
ne citer qu’un seul exemple, dont je connais les coutures et les doublures,
Yves Saint Laurent. Le créateur a en effet créé des pièces hommages - hommages
à des artistes qu’il admirait particulièrement, Van Gogh, Apollinaire, Aragon,
Matisse, Braque. De la citation d’Apollinaire « Tout terriblement »
brodée lettres à lettres dans le velours de soie noir et bleu, à l’évocation
des Tournesols de Van Gogh entièrement brodés par Lesage sur une veste, à
l’interprétation des effets de mode revisités dans des détails : manches
ballons, crinolines rondes, costumes traditionnels, marocains notamment, Yves
Saint Laurent a fait de l’art une source majeure.
Photo du haut : Ensemble du soir long, automne-hiver 1980. Collection Haute Couture Yves Saint Laurent.
Photo du milieu haut : Ensemble du soir court, printemps-été 1988. Collection Haute Couture Yves Saint Laurent.
Photo du bas : Modèle de gauche, ensemble du jour court, automne-hiver 1979. Collection Haute Couture Yves Saint Laurent. Modèle du milieu, ensemble du jour long, printemps-été 1991. Collection rive gauche Yves Saint Laurent. Modèle de droite, robe du soir long, automne-hiver 1977. Collection Haute Couture Yves Saint Laurent.
Photo de droite : Robe du soir long, automne-hiver 1976. Collection Haute Couture Yves Saint Laurent.
Intégré
au vêtement dans le processus de création, l’art devient un artifice de la mode.
Appliqué à la couture, le lien art et
mode est un écho révélant les emprunts, les hommages, les correspondances
dans la rencontre de ces deux univers.
Dans
le cas qui nous occupe, le lien est tout autre ; non pas inscrit dans
l’ADN du vêtement mais dans le dispositif.
La
mode emploie un dispositif artistique pour mettre en scène – mettre en vente –
ses produits. Reste à savoir si cela est intentionnel ou une coïncidence. Pour
cela, je décide d’interroger directement les enseignes afin de connaître leur
position.
Dans
tous-les cas, le phénomène est intéressant à souligner.
Si l’intention porte sur l’interprétation d’une œuvre à travers un dispositif, alors la mode utilise l’art comme vecteur de reconnaissance. Reconnaissance de son appartenance à l’art – débat très largement couvert lors de l’entrée de la mode dans le monde institutionnel des musées-, reconnaissance à travers la réappropriation, le réemploi, l’interprétation d’une œuvre. Le lien serait ainsi réactualisé par la mode tentée par l’art dans une approche scénographique. Cela n’est pas sans évoquer la campagne publicitaire de la marque Marithé et François Girbaud datée de 2005 s’inspirant librement de l’œuvre de Léonard de Vinci, la Cène.
Si l’intention porte sur l’interprétation d’une œuvre à travers un dispositif, alors la mode utilise l’art comme vecteur de reconnaissance. Reconnaissance de son appartenance à l’art – débat très largement couvert lors de l’entrée de la mode dans le monde institutionnel des musées-, reconnaissance à travers la réappropriation, le réemploi, l’interprétation d’une œuvre. Le lien serait ainsi réactualisé par la mode tentée par l’art dans une approche scénographique. Cela n’est pas sans évoquer la campagne publicitaire de la marque Marithé et François Girbaud datée de 2005 s’inspirant librement de l’œuvre de Léonard de Vinci, la Cène.
Photo du haut : campagne publicitaire Marithé et François Girbaud, 2005.
Photo du bas : Léonard de Vinci, La cène, 1495-1498, Tempera sur gesso, 4,6 x 8,8 m, Eglise Santa Maria delle Grazie de Milan.
Si
l’intentionnalité porte sur les couleurs associées –noir, jaune, rouge- alors
on pourrait y voir l’intérêt de la mode portée à la Belgique, par l’évocation
de son drapeau et au-delà son intérêt pour le caractère pointu des designers
belges. Phénomène discret mais bien présent dans la mode depuis l’apparition des
Six d’Anvers5: Walter Van Beirendonck, Ann Demeulemeester, Dries Van
Noten, Dirk Van Saene, Dirk Bikkembergs et Marina Yee (auquel il faut ajouter
Martin Margiela). La Belgitude est toujours en vogue – et ça n’est pas pour me
déplaire !
Si
cela est le fruit du hasard, alors il est décidément de rigueur de dire qu’il
fait bien les choses !
___________
1 Georgio Agamben donne la définition suivante
du dispositif dans son ouvrage, Qu’est-ce
qu’un dispositif ? « J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une
manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer,
d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites,
les opinions et les discours des êtres vivants. »
Agamben Georgio, Qu’est-ce qu’un dispositif ?,Rivages
Poche/Petite Bibliothèque, Paris, 64 pages.
2 Jean-Pierre Bredo, artiste belge né en 1964, décline
le noir, le jaune et le rouge, couleurs du drapeau belge dans des objets du
quotidien pour interroger l’identité de son pays.
3 Valérie de Givry, Art & Mode, Editions du Regard,
Paris, 1998, 150 pages.
4 Ibidem, introduction, p. 7.
5 Les Six d’Anvers désigne un groupe de six élèves
(auquel il faut ajouter Martin Margiela) issus de l'Académie Royale des
Beaux-Arts d'Anvers (Belgique). Ces stylistes sont considérés comme
l’avant-garde à travers une mode minimaliste qui connaît son apogée dans les
années 1990.
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