mercredi 18 mars 2015

L'art du trait

- Sophie 


Un trait très tendance comme toile de fond, comme nouvel imprimé, décliné selon son champ d’application : en trait, en ligne, en rayure, en bande fait son apparition depuis peu dans les campagnes publicitaires de la mode.
Association de rayures vestimentaires et bandes graphiques, la mode réinvestit le trait en jouant des codes art et mode.


Les lignes ou disons plutôt les rayures, animent le tissu depuis des siècles déjà jouant avec la lumière et la matière pour rendre la création vibrante. Elles créent des effets d'optiques différents qui se retrouvent également dans les domaines de l’ameublement, de l’art et de l’architecture. Aucun domaine ne semble échapper à ce trait qui utilise l’effet visuel comme motif créatif.    
Si la mode emploie et réemploi la rayure, c’est pour jouer des volumes et des formes du corps. Si le tissu d’ameublement joue avec les lignes, c’est pour agrandir visuellement les dimensions. Si l’art investit la bande, c’est pour créer une grammaire formelle.

Photo haut à gauche : Robe de bal et corsage de jour, vers 1866, collection Musée de la mode de la Ville de Paris, Musée Galliera. 
Photo bas à gauche : échantillon de tissus Pierre Frey. 
Photo assemblage à droite : collection diverse défilé 2013. 

Force est de constater que la rayure a le vent en poupe depuis le tricot rayé de la tenue de marin dont la marinière figure aujourd’hui en tête de proue. 
La rayure prend de la couleur et de la forme au fil des saisons. Mais, ce qui prédomine aujourd’hui est la mise en scène de certaines collections qui affichent une association entre la rayure imprimée sur le vêtement et les bandes graphiques d’un fond, d’une construction, d’un monument, d’un bâtiment. Le choix des cadrages tend à amplifier l’effet d’optique en 3D des rayures créant ainsi une géométrie descriptive commune. Le trait et les bandes contribuent à jouer des perceptions mais surtout ancrent la mode dans un rapport à l’art et à l’architecture. Cet effet visuel est intéressant car il permet de souligner un nouvel exemple de porosité dans le sens de la mode vers l’art.


La campagne de publicité Petit Bateau de 2014 opte pour des bandes horizontales pour présenter ses modèles de marinières mettant en avant la complicité entre des duos de générations avec le slogan « Jamais vieux pour toujours ».  

Campagne publicitaire Petit Bateau, 2014

Un troisième acteur peut être avancé : l’art. Si le motif à bandes bleues des campagnes semble être un décor, il n’en reste pas moins que la référence à des œuvres artistiques et notamment au travail de Michel Parmentier (1938-2000) peut être avancée. La marinière oui, mais l’art aussi ! 

Michel Parmentier
Laque sur toile, 281 x 245 cm
Galerie Lilane & Michel Durand-Dessert, Paris. 

Les bandes horizontales laissent découvrir le travail de cet artiste inscrit dans le groupe aussi culte qu’éphémère BMTP (Buren, Mosset, Parmentier et Toroni)1 qui opte pour la répétition de motifs choisis dans une démarche ascétique. Michel Parmentier travaille la bande horizontale qui devient le motif de son œuvre programmatique qui tend vers le renoncement, l’absence, le vide, le retrait. 
Le propos de l’artiste semble loin de la légèreté affichée par Petit Bateau dans sa campagne publicitaire ! Reste l’effet visuel qui demeure et joue de la perception. Perception et perspective mises en exergue par l’exemple choisi qui tend à ouvrir un champ des possibles. A rayer ou pas. 


 Les campagnes de 2015 des marques telles Chanel, Kocca, DKNY, Longchamp associent les créations vestimentaires à des compositions graphiques. Si les colonnes de Buren (1938-) peuvent pour certaines être avancées, de façon plus générale, la bande est un outil visuel permettant une découpe, une projection visant à insérer le modèle dans un rapport entre le fond et la forme. De façon plus ou moins subtile.

Chanel dans sa campagne publicitaire utilise un dispositif qui répond au modèle présenté – tailleur pantalon noir brillant imprimé de fines rayures blanches, créant un effet d’optique qui donne de la forme à la rayure et à l’architecture environnante. Les lignes et rayures se mêlent dans une géométrie graphique. 

Campagne publicitaire Chanel, 2015

Le travail de Manuel Merida (1939-) peut être suggéré en référence. L’artiste investit la notion d’espace et de nature environnante pour créer des œuvres à l’horizon sans limite et évolutif. L’installation2 proposée à l’Espace Meyer Zafra3 propose un dispositif jouant sur les rayures verticales et horizontales bi-colore (rouge et blanc) et d’élément en mouvement offrant une perception ouverte. 

Exposition Usuyuki/Chantier de Manuel Merida
présentée à l'Espace Meyer Zafra du 24 octobre 2013 au 10 mars 2014

La campagne publicitaire offre ce cadrage de traits contradictoires et l’ouverture d’une perception.


La campagne publicitaire Longchamp présente une composition graphique clairement identifiable. 

Campagne publicitaire Longchamp, 2015

Daniel Buren et son installation communément appelée les colonnes de Buren, peuvent être cités comme références d’autant que les photographies de la campagne de la marque ont été prises à la Cité Radieuse de Marseille4Haut lieu de l’architecture de Le Corbusier, dans lequel Daniel Buren a exposé5.

Les deux plateaux (installation appelée "colonnes de Buren), Daniel Buren
Marbre blanc et noir, plan d'eau, 1986
Cour d'honneur du Palais Royal, Paris. 

 Le résultat est donc un dispositif qui joue sur un effet d’optique identifié aux colonnes de Buren situées dans la cour d'honneur du Palais Royal. Le lien entre mode et art est plus que suggéré par la complicité entre tous les acteurs. 



Le trait, la rayure, la bande questionnent l’espace et la perception pour proposer une application répondant à son domaine. 
Mais lorsque les champs mode et art se rencontrent et même si le trait est parfois tiré, alors cela donne un champ des possibles, une autre façon d’appréhender les pages glacées des magazines, une autre façon de lire la mode, une autre façon de voir l’art et l’architecture.


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1 Groupé crée en décembre 1966 et dissout en décembre 1967.
2 Eposition Usuyuki/Chantier de Manuel Merdia, présentée à l’Espace Meyer Zafra du 24 octobre 2013 au 10 mars 2014.
3 Espace Meyer Zafra, 4 rue Malher, 75004 Paris, France.
4 Résidence édifiée entre 1947 et 1952 par l'architecte Le Corbusier dans le quartier de Sainte-Anne, dans le 8ème arrondissement de Marseille.

5 Exposition Défini Fini Infini, Travaux in situ de Daniel Buren présentée à la MaMo (Marseille Modulor) du 30 juin au 31 octobre 2014.

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